Olympe et Solitude au Panthéon
Article paru dans l'édition du 09.03.07
Après les Justes, les héroïnes de la cause des femmes et des Noirs ont aussi leur
place dans le mausolée national
Marie Curie, première femme reçue ès qualités au Panthéon, n'y entra qu'en 1995.
Récemment, les Justes ont été célébrés, et plusieurs femmes ont franchi le
seuil du Panthéon, le temps de la cérémonie. Mais il convient d'aller plus loin.
Olympe de Gouges est à nos yeux une figure éclatante. Femme de lettres et femme
politique, elle porta avec un courage exemplaire le combat de l'égalité des
droits. En 1791, elle rédigea une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle
se battit pour que les femmes puissent prendre part aux
commémorations nationales, et notamment aux cérémonies du 14 juillet 1792. Elle milita
pour le droit au divorce. Dès 1788, elle développa des idées visionnaires
sur la solidarité nécessaire pour secourir les pauvres. Elle chercha à défendre les droits des
chômeurs et des mendiants, autant de sujets dont l'actualité demeure,
hélas, brûlante.
Mais Olympe de Gouges milita aussi, on l'ignore souvent, contre l'esclavage, qui fut aboli par
la Ire République en 1794, avant d'être rétabli par Napoléon huit ans
plus tard. Engagée dans cette lutte, elle adhéra à la Société des amis des Noirs, aux côtés
de Brissot, Condorcet, Lafayette, l'abbé Grégoire. La cause des femmes, la
cause des Noirs, la cause des opprimés en général, tels furent les combats admirables
d'Olympe de Gouges.
Nous voulons vous proposer aussi une autre figure, une autre femme, celle qu'André
Schwarz-Bart a célébrée dans son roman La Mulâtresse Solitude (Seuil,
1972). On oublie souvent que les esclaves ont été les premiers à se battre contre
l'esclavage, évidemment, et on oublie encore plus que les femmes ont pris part à ce
combat. Il convient donc de rappeler ces deux vérités, qu'illustre Solitude. Née en
Guadeloupe dans la commune de Capesterre, elle n'hésita pas à rejoindre le
commandant Delgrès et les autres « marrons » lorsque Napoléon décida de rétablir
l'esclavage. La résistance s'organisa contre les soldats du général Richepance.
Solitude combattit les armes à la main. Retranchée avec Delgrès à Matouba, elle fut
finalement capturée et condamnée à mort. Comme elle était enceinte, on
attendit que le petit esclave naisse, et elle fut exécutée le lendemain de son accouchement.
En 1999, la commune des Abymes, en Guadeloupe, décida d'honorer son nom en érigeant
une statue à sa mémoire sur le boulevard des Héros. Evidemment,
Solitude est une figure peu célèbre, moins connue encore qu'Olympe de Gouges. Mais telle
qu'elle est construite, la mémoire nationale, en particulier la mémoire
des « grands hommes », tend à rendre invisibles les femmes, bien sûr, les Noirs aussi, et a
fortiori les femmes noires. Il est donc fatal que les femmes, les Noirs et
les femmes noires que l'on pourrait panthéoniser souffrent d'un déficit de notoriété. C'est
d'ailleurs pour cela que nous faisons cette proposition. Pour faire
connaître des figures qui méritent de l'être ; pour que la mémoire nationale devienne plus
équitable ; pour que la société française, aussi, devienne plus juste ;
pour que chacun sache qu'il peut y trouver sa place.
En outre, après la récente célébration des Justes, il nous semble opportun de montrer que la
mémoire nationale doit aujourd'hui reconnaître les héros invisibles
et, d'une certaine façon, les plus authentiques. Les héros ne sont pas nécessairement des
hommes en armes. Ce sont aussi ces femmes des rues, pendant la
Révolution, qui bravaient les soldats et réclamaient du pain pour leurs enfants. Ce sont
parfois des citoyens ordinaires comme les Justes, qui risquaient leurs vies
pour en défendre d'autres. Ce sont encore ces « marrons » anonymes et ces femmes
esclaves entrant en résistance. En 1989, à l'occasion du bicentenaire de la
Révolution française, l'historienne Catherine Marand-Fouquet avait proposé qu'Olympe de
Gouges reçoive les honneurs du Panthéon.
Aujourd'hui, les associations noires qui constituent le Conseil représentatif des associations
noires (CRAN) se joignent aux mouvements féministes pour soutenir
cette demande, et proposer en outre que Solitude figure aux côtés d'Olympe de Gouges
dans l'illustre tombeau. A l'évidence, le combat pour les droits civiques et
pour l'égalité, qu'il s'agisse des femmes ou des Noirs, est lié à la Révolution et à la
République. Cette double panthéonisation serait, à n'en pas douter, un symbole
magnifique de concorde nationale, de simplicité et de grandeur, et il nous plaît de croire
qu'Olympe et Solitude seraient heureuses de se trouver côte à côte... Le
Panthéon, demain, sera plus beau avec Olympe de Gouges et Solitude.
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